De retour chez moi, je réalisai que reprendre les études était devenu chose inutile puisque, maintenant, le mot “étudier” ne signifiait simplement qu’une perte de temps pour moi. Je ne voyais pas quelle distraction cela pourrait m’apporter. Mes parents m’en firent la remarque, mais j’étais beaucoup trop triste pour apporter à la situation quelque remède que ce soit.
Un soir, mes parents me firent part de leur idée; ma mère prit la parole:
– Junior, mon cousin, qui est anesthésiste, m’a fortement conseillé d’aller consulter un autre neurochirurgien pour avoir une deuxième opinion.
– Voyez-vous l’utilité?
– Oui, sûrement! Pour une conclusion de ce genre, il vaut mieux avoir une autre opinion pour confirmer son dire et, avec un peu de chance, le contredire.
– Oui, c’est vrai car ma vie est en jeu.
Après cette discussion, je suis descendu dans ma chambre. Étendu sur mon lit, comme par magie l’espoir ressuscita en moi et je constatai que la joie, l’amour, la paix, l’optimisme et la volonté furent les premiers sentiments que je ressentis. Après m’être couché, l’air songeur, je me remis à penser à ces cinq sentiments qui me permettaient de voir d’une manière positive au-dedans de moi. J’avais de la difficulté à les retenir; alors, je pris la décision de me fabriquer un mot clé tel que JAPOV. Le “J” pour joie, “A” pour amour, “P” pour paix, “0” pour optimisme et le “V” pour volonté. A cet instant, je me jurai de prononcer ce mot continuellement pour y voir quotidiennement un message d’espoir s’installer au fond de moi.
Quelques jours plus tard, nous partions en direction de Montréal où j’avais deux rendez-vous, dont un à l’Hôpital Notre-Dame et l’autre à l’Hôpital Ste-Justine, tous les deux spécialisés en neurologie.
Pendant ce séjour long et pénible d’une semaine dans la métropole, ma tante Huguette eut la gentillesse de nous offrir le gîte.
Le lendemain de notre arrivée, je me rendis à l’Hôpital Notre-Dame avec ma mère et mon cousin qui nous servait de guide car, à l’idée de cette entrevue, nous ne pouvions nous concentrer pour trouver le bon chemin.
La discussion avec le médecin fut de courte durée car il a juste demandé d’expliquer la situation et de voir les examens des autres établissements.
Il décida de nous retourner car il avait besoin de trois à quatre heures de réflexion pour décider si oui ou non il tentera l’opération et, du même coup, en peser les risques.
De retour à son cabinet, la secrétaire nous demanda de patienter quelques instants.
Un vent de chaleur est venu en moi et, d’une façon nerveuse, je me faisais craquer les doigts en sifflant et en bougeant les pieds puisque je savais bien que, dans les cinq prochaines minutes, j’allais savoir à quoi m’en tenir.
– Michel, j’ai pris connaissance de ton résumé de dossiers et je constate qu’il y a malheureusement bien une tumeur dans un endroit mal défini de ton cervelet, mais…
– Accouche…
– Oui, il y a une possibilité d’opération qui renferme beaucoup de risques.
– Quels sont-ils?
– Il y a malheureusement les risques de mongolisme, paralysie et même de mort…
– Est-ce qu’il y a un gros pourcentage de me retrouver avec tous ces handicaps?
– Pour être franc, cinquante, cinquante…
– Combien de temps pensez-vous que va durer l’anesthésie?
– Treize ou quatorze heures.
C’est alors que nous reprîmes le chemin du retour.
J’attendis que mon amie soit revenue de l’école pour lui passer un interurbain.
– Salut, mon bébé!
– Salut!
– J’ai rencontré le médecin de l’Hôpital Notre-Dame aujourd’hui, lequel s’est montré plus positif et m’a fait savoir qu’il y avait possibilité d’intervention, mais avec de gros risques.
– Je suis heureuse d’entendre ça.
– Tu sais, je suis nerveux et je m’ennuie. J’aimerais beaucoup que tu viennes passer ce moment à mes côtés, car je crois que tu es aussi concernée que moi, parce que je t’aime et que je veux que tu participes à mes décisions.
Chose à laquelle elle se plia généreusement puisque, à 22h30, le téléphone sonna. C’était Myriam qui me demandait d’aller la chercher au terminus; elle était enfin arrivée.
Le lendemain, le lever se fit très tôt car mon autre rendez-vous à l’Hôpital Ste-Justine était fixé pour huit heures. Mon cousin me demanda d’être prêt pour 7h15 si je voulais éviter un retard, car il n’avait aucune envie de circuler dans les embouteillages.
Arrivés à l’hôpital, ce fut beaucoup plus long que lors du rendez-vous précédent puisque nous avions un groupe à rencontrer constitué de deux chirurgiens, un radiologue et deux médecins de médecine générale qui, eux, prirent soin d’étudier mot à mot le résumé du docteur Y.
J’avais entendu dire beaucoup de bien concernant cet établissement et une confiance du tonnerre régnait en moi. Mais, d’une façon machinale, la nervosité s’empara de nouveau de moi et la seule question que je réussis à poser est:
– Vais-je mourir?
Le docteur Jean Mathieu prit la parole et répondit à cette question:
– Mon jeune homme, je suis prêt à tenter une opération, mais la seule et unique personne qui peut décider de la vie ou de la mort, c’est toi avec un moral positif.
J’émis alors un grand soupir de soulagement et, de façon spontanée, je souris car le verdict que j’attendais depuis si longtemps venait de vibrer à mes oreilles.
De retour chez ma tante, ma mère me dit:
– J’ai entendu parler d’un très bon neurochirurgien pratiquant à l’Hôpital l’Enfant-Jésus de Québec et, comme tu n’es pas encore au stade d’être obligé de rendre ta décision dans les jours qui viennent. eh bien, on peut s’arrêter à Québec quelques jours pour le rencontrer et lui demander ce qu’il pense de cette situation.
Chose que nous fîmes car, une semaine plus tard, j’étais assis dans le bureau du docteur Picard.
– Bonjour, Michel. Comment ça va?
– Ca va super bien, mais j’ai un problème qui m’amène ici.
– Je lui expliquai donc le problème. Par la suite, il me dit:
– Bon, des problèmes de ce genre, j’ai eu l’occasion d’en rencontrer bien d’autres. Je ne peux te garantir une exérèse totale, mais suffisamment pour déterminer la cause et la gravité de cette tumeur.
J’eus donc la chance de me trouver dans un dilemme et c’est alors que je réalisai qu’il y avait de l’espoir plus que je ne le croyais.
Revenu chez moi, je m’étendis sur mon lit et, à tête reposée, je pensai et repensai à ce choix. Cette décision était trop importante à mes yeux pour être prise spontanément.
Durant la nuit, je fis un rêve assez bizarre. Je rêvai que le docteur Picard m’avait opéré et que, malgré quelques petits incidents, il avait réussi. Cela fut très fort, assez pour que s’éveille en moi une confiance absolue en M. Claude Picard.
A mon réveil, j’allai immédiatement sauter dans le lit de mes parents en leur annonçant ma décision d’une manière autoritaire, mais sans parler du rêve de cette nuit passée, non plus que du message qui m’a semblé venir du ciel. Je n’osais pas en parler car, moi-même, je croyais que c’était une hallucination. Je demandai à ma mère de téléphoner à la secrétaire du docteur Picard pour fixer une admission.